La question que je poserais est celle-ci : si un mouvement socialiste révolutionnaire embrassant un tiers de la classe travailleuse existait réellement, quelles devraient être ses tactiques ? Est-ce qu'on peut supposer qu'il s'abstiendrait de participer à des élections (quand des sièges seraient là à prendre) ? Ou qu'il s'opposerait à ce que les travailleurs s'organisent dans des organisations permanentes en vue de négocier le prix de leur force de travail avec les employeurs ?
Bien entendu, c'était une grande illusion. Le SPD n'était pas un parti socialiste révolutionnaire; son soutien parmi les travailleurs n'avait pas été construit sur la base du programme socialiste. Il était effectivement ce que Bernstein voulait qu'il admette d'être : un parti de réforme démocratique et sociale au sein de la société capitaliste.
Ceci devient évident en 1914 lorsque les membres SPD du Reichstag votent pour la guerre. Et c'était cet événement, je suggère, plutôt qu'un facteur économique tel que la saturation des marches ou une chute permanente du taux de profit (ou une transition mystérieuse de la domination formelle a la domination réelle du capital), qui a provoqué un ré-appréciation des tactiques d'avant la guerre, y compris celles prônées par Luxemburg et Pannekoek (qui comprenaient l'action électorale et syndicale).
Nous ne savons pas si, oui ou non, Luxemburg aurait abandonné complètement ces tactiques puisqu'on ne lui a pas permis de vivre assez longtemps (mais probablement pas, étant donné que dans son discours lors du congrès qui a établi le Parti communiste d'Allemagne, elle a parlé en faveur de participation aux élections à l'assemblée constituante allemande). Mais Pannekoek l'a fait, tout comme Otto Rühle (qui avait été membre SPD du Reichstag). Eux, ils ont tiré la conclusion que les nouvelles tactiques devraient comprendre une position abstentionniste et anti-parlementaire (position qui était regardée auparavant comme exclusivement anarchiste, voire comme un des caractéristiques définissant l'anarchisme). Toutefois, ni l'un ni l'autre ne s’est opposé à la formation d'organisations permanentes ouvrières sur le terrain économique (cette position absurde semble être l'invention des intellectuels français des années 70), mais seulement aux syndicats existants.
Ceci dit, je peux être d'accord qu'il y a eu un changement économique -- la création de la base matérielle d'une société mondiale socialiste/communiste capable de fournir assez pour tous -- qui a justifié un changement de tactiques (par exemple, l'abandon du soutien, préconisé par Marx, du développement capitaliste national comme moyen d'avancer la construction de cette base). Mais ce changement a eu lieu plus ou moins autour de la date de la mort de Marx, c'est-à-dire 30 ou 40 ans avant 1914.
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